OSONS UNE rÉVOLUTION ÉCO-SOCIALE

Observant la crise éco-sociale globale dans les journaux pendant les dernières années, j’ai remarqué dans les évènements un schéma commun :
- en tant que membres de la société, les êtres humains ont trois besoins fondamentaux ;
- le fait que ceux-ci ne sont pas satisfaits entraîne les crises qui nous menacent dans tous les coins.
Ça veut dire :
- Partout où les gens sont empêchés, de pratiquer leur religion, leur culture, leurs traditions, d’exprimer leur opinion, de parler leur langue maternelle, bref : là où la vie de l’esprit ne peut pas s’épanouir en Liberté, les gens se révoltent. C’est pourquoi la liberté de la pensée, de l’expression, de la presse, de la religion… ont été adoptées là où les gens ont une influence sur leur système politique. La liberté de l’esprit est le premier besoin social fondamental des gens.
- Partout où les gens font l’objet d’une discrimination, où leurs droits fondamentaux sont piétinés, où quelques-uns son « plus égaux que les autres », ayant plus de droits et moins de devoirs et responsabilités que le reste, où il y a des injustices fiscales… – bref: partout où le principe de l’égalité et de l'équité n’est pas respecté, le sens de justice est violé, les gens se révoltent. Plus le principe de l’égalité en droit est appliqué à tous les gens, quels que soient la couleur de leur peau, leur sexe, leur religion, leur fortune, leur conviction etc., plus une société est stable et paisible. L’égalité en droit est le deuxième besoin social fondamental des gens.
- Là où les besoins existentiels des gens ne sont pas satisfaits, où les conditions économiques les privent d’un revenu dont ils peuvent vivre dignement, ça provoque la misère, l’insatisfaction, le désespoir et une rage impuissante… Notre « ordre mondial cannibale » (Jean Ziegler) est un mépris de l’humanité institutionnalisé. Personne ne le supporterait si son impuissance ne l’empêchait pas d’améliorer son sort. Par conséquent, l’exploitation – de l’homme, et par la suite de la terre – par l’homme montre son troisième besoin social fondamental : la fraternité / solidarité dans la vie économique (surtout).
J’ai donc réalisé que depuis toujours la devise de la République n’a été comprise et appliquée qu’imprécisément. Liberté, Égalité et Fraternité ont été interprétées comme des idéaux, des valeurs, des appels morales… Lors des fêtes nationales, les politiciens les évoquent, et tout le monde les a tout prêtes à n’importe quelle occasion dans la vie, comme ça leur vient à l’esprit, et comme cela les arrange. On fait d’eux un usage arbitraire.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ – LA RÉPONSE AU TRIPLE ÉCHEC SOCIAL
J’ai réalisé qu’en vérité, Liberté, Égalité et Fraternité sont beaucoup plus, elles sont les trois besoins fondamentaux des gens en tant que membres de la société. Et les trois genres de crises sont les symptômes que les trois besoins fondamentaux dans la société sont ignorés. La vie nous confronte toujours violemment aux défis auxquels nous refusons de faire face. Et voilà les conséquences : La crise spirituelle (totalitarisme religieux ou idéologique, brut à la 1984 et doux à la Brave New World à la fois), la crise étatique (populisme et totalitarisme politique), et la crise économique (le totalitarisme des marchés qui écrase et les hommes et la terre).
Dans un sens très limité, Liberté, Égalité, Fraternité sont encore une utopie. "Fonder une utopie, ce n’est point se laisser aller à une douce rêverie, mais penser des espaces du réel à faire advenir par la pensée et l’action ; c’est en repérer les signes et les germes dans le temps présent, afin de les nourrir" (Felwine Sarr). En "germes", elles sont déjà là, elles sont la réalité au cœur de chaque être humain.
De ce fait, elles sont une boussole sociale, plantée dans le cœur de chacun. Elles peuvent nous guider dans notre vie au sein de la société. Elles nous montrent où la société veut aller si son énergie n’est pas détournée, si sa rupture de confiance et son rejet des élites ne sont pas abusés. La « vague [populiste] est la somme de tous les échecs des institutions actuelles à exprimer la réalité telle qu’elle est vécue » : la réalité du triple échec social :
- de l'échec économique à satisfaire les besoins de tous les hommes et de la terre de façon durable,
- l’échec de l’État à établir des conditions égaux, justes et équitables,
- l’échec de nos établissements d’enseignement étatisés qui fonctionnent toujours comme au 19e siècle, et qui – en dressant les jeunes à se remplir de savoir et de le reproduire à la place de produire – ont manqué de préparer les gens pour la complexité du monde au 21e siècle.

La pierre de Rosette, la voilà, juste devant nos yeux:
- Liberté dans la vie intellectuelle, culturelle, et surtout de l’éducation,
- Égalité / Équité dans la vie juridique et fiscale, et
- Fraternité / Solidarité dans le domaine des besoins (donc dans la vie économie).
Voilà la triple dynamique sociale. Les citoyens en ont besoin dans leur vie sociale comme ils ont besoin de manger et de boire.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ – LA BOUSSOLE POUR LES TROIS SYSTÈMES SOCIAUX
La différence entre cette idée et d’autres propositions actuelles est-elle évidente ? Ce ne sont pas mes valeurs personnelles et mes convictions (gauches, droites, libérales, humanitaires, altruistes, égoïstes, athéistes, agnostiques, religieuses etc. etc.) qui mènent à mes exigences politiques. Je ne veux pas diriger cette énergie là ou là ; je lui propose une boussole pour se diriger. Liberté, Égalité et Fraternité sont les trois directions dans lesquelles la société veut évoluer selon sa propre ADN sociale. La laisser y aller aura un effet révolutionnaire sans nécessiter de la force et de la violence (d’où résulta le titre de mon livre : Liberté ! Égalité ! Fraternité ! Une rÉvolution sociale au 21e siècle; LEF). Voilà donc ma vision : une société qui laisse épanouir ses forces évolutives.
Et vers où ? À long terme, il en résultera trois systèmes sociaux indépendants qui s’unissent à un « organisme social tripartite » que Rudolf Steiner a décrit il y a 100 ans et que j’ai poursuivi :
- un système au sein duquel la vie intellectuelle et spirituelle fleurit,
- un système économique coopératif (multi-stakeholder),
- et entre eux, un système juridique qui définit les règles du jeu et qui les unit en les séparant.
Trois systèmes autonomes qui évolueront selon leur façon et qui, chacun pour soi et dans leur interaction, créeront le plus grand bien-être du plus grand nombre.
Ça se comprend : tout cela ne s’ordonne pas d’en-haut ; ça serait une contradiction dans les termes. Cette dynamique sociale se lève d’en-bas, elle monte à la classe politique, et puis les citoyens peuvent exprimer « très clairement, massivement ce à qu’ils sont prêts, et ce qu’ils veulent, et ce qu’ils demandent de politique » (Nicolas Hulot). Comme lui, je suis convaincu que « la dynamique des citoyens est le dernier espoir pour la planète. » Si dans le brouillard du quotidien la classe politique ne voit plus le bon chemin, c’est comme ça qu’on va « leur donner une direction » (ibid.).
Comme le processus d’une révision constitutionnelle participative, ce développement « doit être bordé d’un certain nombre de garde-fous ». Il est hors question que le développement dont je parle doit être ouvert et participatif. Mais s’il allait dans n’importe quelle direction, sans aucune structure, ça serait fatal. D’un côté il est vrai qu’ « En aucun cas cette formation ne doit influer sur l’opinion qui devrait émerger des délibérations. Il ne s’agit pas de formater les citoyens dans un sens quelconque que l’on souhaiterait atteindre » (ibid., p.10). De l’autre côté, même le souverain ne peut agir « contre la nature ». La boussole mentionnée indique les directions salutaires, et prévient quelles autres directions sont nuisibles. Nous avons le choix, et nous en supporterons les conséquences.
PAR EXEMPLE…
Alors, si on me demande de concrétiser mes idées, je me sens placé dans un dilemme : Si je le refuse parce que je ne veux rien préjuger, ça reste trop abstrait. Si je présente des exemples, je préfigure ce qui doit s’avérer de soi-même. Parmi ces deux options, la dernière me semble le moindre mal.
- Pour commencer avec le système scolaire – le système le plus important du secteur culturel –, je peux raconter de mes expériences en tant qu’enseignant. Les écoles Steiner / Waldorf ont été crées par Rudolf Steiner comme « cellules germinales » d’un domaine de l’esprit libre. Par conséquent, le développement libre du potentiel entier de l’enfant est au centre. Le programme scolaire est orienté avant tout aux nécessités pédagogiques des enfants. Ce n’est pas le but d’éduquer les enfants pour qu’ils fonctionneront parfaitement dans le système économique et étatique établi comme des petits engrenages dans un mouvement d'horlogerie. On fait s’épanouir toutes leurs capacités : tête, cœur, main ; on fait éclore leur compétence professionnelle, méthodologique, sociale et personnelle. Il n’y a pas de matières « principales » et des matières « secondaires » : avec ce qu’ils peuvent engendrer dans le développement de l’enfant, elles ont toutes la même importance – les maths comme le dessin, l’anglais comme la menuiserie, les langues étrangères comme le tricotage, la couture, la reliure… Il n’y a pas de notes, pas de doublement, pas de livres scolaires. Les élèves apprennent sans être forcés (sans notes, c’est un peu difficile) mais par ce qu’ils s’intéressent à ce qu’ils apprennent. Et inversement, les enseignants ont la tâche de présenter le programme d’une façon vivante et captivante. – En ce qui concerne la structure et les processus de ce type d’école, il est impératif qu’ils soient conformes aux nécessités pédagogiques. Ça commence par le fait qu’il n’y a pas de directeur et pas d’hiérarchie formelle. Chaque école Waldorf est une organisation autonome gérée par une auto-administration collégiale des enseignants. Ils définissent les buts de l’enseignement, ils conçoivent les contenus et méthodes pédagogiques pour les atteindre. Dans ce cadre pédagogique, chaque enseignant est libre dans sa classe, dans son travail quotidien. Les décisions pédagogiques et organisationnelles sont prises par la conférence hebdomadaire des enseignants qui « sont des conversations républicaines libres. Tout le monde y est souverain » (Steiner). – Si on me demande si ça peut fonctionner, si ces élèves peuvent réussir dans le monde, la réponse est sans aucune hésitation : oui. Voilà ce qui est possible si on libère l’enthousiasme et la créativité des gens. Donc, ce type d’écoles qui existe depuis 1919 peut servir comme modèle pour le système scolaire en général, et en plus pour tous les autres établissements d’enseignement.
- Le système économique entier – ce n’est pas la peine de l’expliquer – est fondé sur les marchés, et les marchés engendrent les prix et les revenus. Celui qui est le moins cher est le plus compétitif. Donc, le dumping universel – des prix, des revenus et par la suite celui de la qualité de l’élevage animalier, de l’agriculture, de la nourriture… –, l‘exploitation universelle sont inévitables. Ce dérapage nécessite l’intervention 1° des syndicats et 2° de l’État qui essaie de limiter les dégâts sociaux et écologiques les plus importants. Il glisse dans le rôle des pompiers pour éteindre l’incendie que d’autres ont allumée : les marchés! C’est pourquoi celles-ci sont au centre des attaques quand le néolibéralisme entraîne des effets sociales et écologiques catastrophiques. – Pour que le système économique puisse fonctionner sans interventions politiques pour le bien de tous, il faut que non seulement les plus puissants, mais toutes les parties prenantes soient engagées. Jusqu’à ce que la solidarité et la compréhension mutuelle soient assez fortes, il es nécessaire que tous les acteurs du marché puissent affirmer leur égoïsme et influencer les prix et les revenus avec le même levier. D’où il s’ensuit la nécessité de coopératives – des institutions où les producteurs, les consommateurs et les marchands négocient des prix dont ils pourront tous vivre dans la dignité. Donc, la fraternité n’est pas présupposée (ce qui serait purement utopiste), mais elle est le résultat de ces négociations : tout le monde y revendique sa situation et ses besoins ; les uns racontent, les autres écoutent ; on discute, on se dispute… – et finalement, on arrivera à un compromis, c’est-à-dire à un prix correct pour toutes les parties prenantes. Dès que les grandes entreprises et groupes ne pourront plus faire ce qu’elles veulent parce que ceux qui sont touchés par les conséquences auront aussi leur mot à dire ça sera la fin de « l’ordre cannibale mondial », la fin de l’exploitation des gens et de la nature. Les coopératives sont un cadre au sein duquel la vie évolue de l’égoïsme à la solidarité, à la fraternité. Les uns y sont déjà arrivés, les autres ont encore un peu de route devant eux, mais d’ici-là les coopératives entraînent le bien général le plus grand possible.
- Et on ne pourra pas s’arrêter là. Jusqu’à présent, l’État est un acteur économique important. Ça entraîne de graves contraintes. Pour aller au fond, il ne faut pas être immobilisé par des liens systémiques. Donc, il faut les couper, un fil après l’autre. Il faut que l’État se retire en tant qu’acteur de l’économie pour qu’il puisse lui imposer les règles qui garantissent le bien-être durable de l’humanité et de la planète. Il peut se retirer de bonne conscience une fois que 1° le système économique se gère indépendamment pour le bien général, et 2° l’économie aie ses garde-fous qui la dirigent vers le bien commun. Comme c’est proposé dans Osons…, la vote populaire pourra donner à l’État les directions politiques primordiales – de respecter « la finitude des ressources et des capacités de charge de la Biosphère […], le principe de non-régression du droit de l’environnement […], le principe des droits de l’Humanité […], la reconnaissance de l’écocide […], la reconnaissance de droits aux non-humains, le principe de valeur intrinsèque du donné naturel, les principes constitutionnels de gestion des communs, notamment écologiques, la reconnaissance de la création monétaire publique […], la reconnaissance d’un droit à un revenu d’activité face aux destructions actuelles et à venir d’emplois » (ibid., p.5). Libéré des contraintes dites plus haut, et concentré sur son propre champ de compétence – beaucoup plus puissant : pression = force / surface –, l’État pourra s’y mettre avec tout son pouvoir.
LE PLAN MARSHALL ÉCO-SOCIAL
C’est une vision, mais ce n’est pas une utopie ! C’est une réalité comme l’ADN. Comme il est inscrit dans l’ADN d’une cellule de devenir un poumon, d’une autre de devenir de la peau, et d’une autre de devenir un doigt, il est inscrit dans l'ADN sociale d'évoluer vers la liberté, l'égalité et la fraternité. Bien que ce ne fussent que des exemples, en partie quand même déjà réelles depuis un siècle, elles ne préjugent rien. Elles montrent vers où l’évolution sociale veut se diriger. Son impulsion n’est pas arbitraire mais, comme l’ADN, une espèce de « loi intérieure », la « Gesetz, wonach du angetreten » (la loi selon laquelle tu as commencé ; Goethe) qui tôt ou tard surmonte tous les obstacles. Plus on l’empêchera, plus on devra en supporter les conséquences.
Tout à fait : ce n’est pas un plan à petits pas ! C’est « un plan Marshall éco-social », comme l'a appelé Nicolas Hulot plusieurs fois. Dans une interview récente, il a lucidement esquissé le principe de la transition éco-sociale inévitable : Il faut le succès des objectifs. Pour cela, il faut définir nettement les buts et donner assez de temps pour y arriver d'une façon que tout le monde peut être emmené. Il faut une stratégie raisonnable, socialement acceptable et équitable. Mais il ne faut pas perdre les but des yeux, et chemin faisant, il ne faut pas changer les règles.
Voilà, c'est aller au fond, voilà le changement de paradigme nécessaire et la stratégie pour le mettre en pratique. Maintenant c'est le moment décisif, le kairos pour que les gens qui veulent s'y mettre s'unissent.
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